Gregory

Vous avez inspiré, Monsieur Mandela

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Vous avez donné à une génération le goût de l’autre.

Inscrit tolérance, pardon et clémence dans les âmes des mômes

Qui vous ont découvert comme moi en 1988.

Pleurant devant leur télé en bois, en comprenant le poids

De votre détention grâce aux gloires rockeuses

Dans un furieux Wembley.

 

Pas de quoi tout comprendre, à onze ans.

Mais la flamme que vous avez allumée

Dans nos coeurs continue à nous chauffer au

Dialogue et à l’entraide. Merci Monsieur Mandela !

Vous ne méritez pas d’être tutoyé.

Ni icônisé, réduit à un symbole ou à une chanson.

Vous méritez d’être dans le plus grand des panthéons

Le fond de nos coeurs.

Le seul hommage que je vous souhaite,

En cette fin d’hiver d’une vie inspirante,

Est la survie de la lutte pour un monde commun.

 

Pour qu’il reste des hommes pour qui la justice

Et la liberté pour tous n’est pas une utopie,

Mais l’objectif unique, absolu, indiscutable.

Je souhaite sans y croire

Qu’aucune personne votant trop à droite ne vous rende hommage.

Renvoyer à ses responsabilités, promouvoir la concurrence,

Glorifier la réussite individuelle, renoncer à l’entraide,

Conchier le partage, fermer les frontières,

Réduire la tolérance à un truisme pour soupers en ville,

Sont trop loin de votre bonté pour qu’un salut

De cette engeance ne salisse vos exploits.

 

Depuis 1988, nous avons grandi Monsieur Mandela

Pour vous saluer, nous vous consacrons des actes de bonté silencieux.

Que chaque geste vers l’autre, désintéressé et sans spectacle

Vous soit envoyé comme l’ultime compliment

Au héros que êtes, source de paix.

 

Ce texte a été publié en premier sur le blog L’Homme simple, animé par le même auteur que le Couteau Suisse.


Coup de théâtre au Costa Rica : David est en train de déposer Goliath

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« En offrant notre richesse, nous ne combattrons jamais la pauvreté »

Le dernier sondage en vue de l’élection présidentielle de février pourrait provoquer un séisme politique en Amérique centrale.

Le jeune parti politique Frente Amplio (Large Front) d’obédience socialiste devient soudainement la première force politique du pays. La surprise est de taille dans cette arrière-cour étasunienne.

Inversion de tendance

Les journaux costaricains ont annoncé les résultat de ce sondage hier, dimanche. Tout en retenue et en nuance. La principal quotidien du pays, La Nacion, titrait: « Les Costaricains hésitent toujours » et les infographies noyaient le poisson à travers les pages politiques. Liés au pouvoir économique et aux intérêts libéraux, les groupes de presse se refusaient à annoncer clairement la vraie nouvelle.

Et pourtant, les résultats de ce sondage fournissent une information stupéfiante ! Alors que le parti traditionnel PLN (Partido de Liberacion Nacional) et son candidat Johnny Araya, actuel maire de la capitale San José, surfaient sur des estimations à 40% dans les sondages de ce été et voyaient venir une réélection confortable, vraisemblablement dès le premier tour, le sondage d’automne explose les prévisions.

D’un sondage à l’autre, Johnny Araya est passé de 38 à 17% d’intentions de vote. L’autre candidat libéral, Otto Guevara a vu sa cote augmenter considérablement, de 10 à 17%.

Mais la tonitruante surprise révélée par ce sondage, qu’il faut découvrir en détaillant les infographies peu claires publiées par la Nacion : le tout petit parti Frente Amplio – qui ne compte pour l’instant qu’un seul député sur 57 à l’assemblée législative- passe de 10 à 20%.

Le candidat du Frente Amplio, son unique député, le brillant José Maria Villalta, 36 ans passe d’un jour à l’autre du rôle d’histrion suscitant la condescendance des candidats des grands partis à celui de favori de l’élection présidentielle. Son parti, unique formation qui annonce des idées clairement de gauche et qui se revendique comme socialiste, devient la principale force politique du pays.

L’apathie des candidats des partis traditionnels et la vibrante campagne du Frente Amplio expliquent ce renversement de situation. Le report des intentions de vote des électeurs du Parti Unité Sociale Chrétienne, dont le candidat longtemps annoncé en seconde position dans les sondages a décidé de se retirer de la course à la présidence début octobre pèse également lourd dans cette transformation du paysage politique. Le nombre de costaricains encore indécis est grand (36%), mais la lame de fond générée par ce parti qui s’annonce comme celui du changement n’a pas fini de déferler.

Le socialisme dans le jardin des USA

Jusqu’ici asservi aux Etats-Unis, politiquement et économiquement, le Costa Rica vivrait un séisme politique complet en cas d’élection de José Maria Villalta, dont les signes avant-coureurs – s’ils ont été couverts par un traitement médiatique qui fait tout pour trouver un autre nom au chat – ont été ressenti ce week-end.

Jusqu’à présent peu attentifs à la campagne survoltée de M. Villalta qui travaille sans un sous en sautant de communauté en communauté pour communiquer ses projets pour un pays plus égalitaire, les candidats traditionnels annonce ce lundi ouvertement et sans nuance, que leurs travaux seront désormais tournés vers la décrédibilisation de sa candidature.

Habitués à des affrontements politiques tout en amabilités et convenances, les grands partis peineront à se mettre au diapason de cette nouvelle formation qui parle clairement et propose des idées qui font débat.

MM. Araya et Guevara qui seront les seuls adversaires crédibles de M. Villalta selon les sondages publiés ce dimanche, suivent la ligne de leurs prédécesseurs, couvrant le pays de promesses de prospérité et de progrès auxquelles leurs partisans font semblant de croire. Les candidats à la députation du Frente Amplio, emmené par un leader mesuré mais persuasif, s’emploient à démontrer durant la campagne les mensonges des partis traditionnels et leurs absences de réforme une fois au pouvoir.

M. Villalta, qui déclare aujourd’hui : Le Frente Amplio est un parti de gauche démocratique. Mais nos propositions touchent le centre, au Costa Rica parce que les derniers gouvernements ont mené une politique complètement à droite, ne s’en laissera pas compter. Et l’entendre dire que les sales attaques qu’il attend de la part de ses deux adversaires le laissent froid parce que les électeurs qu’il souhaite rallier à sa candidature sont les abstentionnistes et les dégoutés de la politique traditionnelle peuvent laisser penser qu’il sera dur au mal. Ce lundi matin, José Maria Villalta interrogé sur les intentions belliqueuses de Otto Guevara, a déclaré que celui-ci le faisait rire avec ses énormes publicités et ses absences de propositions.

L’ascension devrait se poursuivre

La présidente sortante, Laura Chinchilla, du PLN la formation de Johnny Araya le favori devenu outsider dimanche, est raillée pour son asservissement à l’économie et son manque de défense des acquis sociaux costaricains.

Les démantèlements d’institutions publiques et les multiples contrats signés avec des entreprises étrangères pour l’exploitation des richesses du pays sans bénéfice pour sa population lui valent une impressionnante impopularité. Dont M. Araya devra se débarrasser pour que sa candidature ait à nouveau une chance.

La verve et la froide efficacité de M. Villalta dans les débats peuvent laisser penser que le défi est de taille pour le maire de San José. Jusqu’ici peu présent dans les débats, se contentant de meetings profitant d’une couverture médiatique disproportionnée et de publicités omniprésentes, sa nécessaire descente dans l’arène pour des prises de positions détaillées sur les propositions du Frente Amplio sera un élément décisif des semaines à venir.

Si aucun des candidats n’atteint le quorum de 40% lors du premier tour de l’élection le 4 février, un second tour sera organisé. La stupéfiante ascension du Frente Amplio devrait se poursuivre jusque là. En effet, la position de tête devrait générer une augmentation conséquente du soutien qu’il récolte, désinhibant les costaricains réticents à l’idée d’afficher un soutien à un parti socialiste dans ce pays où ce mot résonne comme un délit, après les décennies de propagandes étasunienne anti-communiste.

Les communistes mangent les enfants

Le terme comeniños (mange-enfants), apparu dans les années 60 pour convaincre les peuples latino-américains des dangers du communisme – et du socialisme par extension opportune – est utilisé encore aujourd’hui dans le langage populaire costaricain pour désigner les politiciens ouvertement de gauche. M. Villalta devra affronter cette réalité dans sa campagne qui s’envole aujourd’hui.

Le Frente Amplio, porté par une image jeune, anti-corruption et mené par l’énergique José Maria Villalta fait une entrée fracassante dans la campagne électorale costaricaine qui va désormais intéresser bien au-delà des frontières du pays et des cercles politiques habitués à une tradition plus paisible.

L’économie étasunienne qui possède de nombreux intérêts dans cette république qui est encore aujourd’hui la tête de pont des USA dans la région ainsi que les Eglises, extrêmement puissantes aux Costa Rica et directement visées par les idées progressistes du parti ne voient plus ce matin un électron libre amusant en M. Villalta, mais une menace claire de leurs intérêts. Leur sortie du bois devrait être fracassante dans les deux mois qui viennent et les attaques que subira M. Villalta d’une force proportionnelle à la taille du danger.

El Frente Amplio es un partido de izquierda democrática, pero nuestras propuestas están luchando por recuperar el centro de Costa Rica porque los últimos gobiernos se han tirado totalmente a políticas de derecha

Dans ce pays ou l’avortement, la fécondation in vitro et même la pilule du lendemain sont interdites, tant les lois sont inféodées au catéchisme catholique, l’effervescent Villalta proposant de renverser toutes ces normes et allant jusqu’à s’annoncer en faveur du mariage gay était un caillou gênant dans la chaussure des tenants du pouvoir. Depuis dimanche, le caillou est devenu la première force politique du pays. A deux mois de l’élection présidentielle.


Il fait un froid de pute !

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C’est vulgaire, bon sang ! Je sais, ça va. Faites pas les effarouchées, c’est un blog qui parle de l’échange nord-sud. Si l’étude du langage n’en fait pas partie, alors quoi ?

Et puis c’est un sujet sérieux.

Je vais parler, asseyez-vous ! Quoi ? Oui, et bien asseyez-vous c’est tout. J’ai l’habitude de parler à des latinos d’un mètre seize depuis un an, voir vos bouilles plus haute que la mienne me donne le vertige.

Je vais parler, disais-je avant d’être assez grossièrement interrompu par moi-même (Desproges, si tu me reçois..), de l’idiosyncrasie costaricaine. Avant que de trop nombreux lecteurs se sentent visés par ce terme, je précise illico de quoi il s’agit : en gros, c’est ce que les costaricains considère comme proprement costaricain dans leur comportement mais surtout dans leur langage.

Panossepasse-moi l’Maggi et la dérupe seraient des exemples de l’idiosyncrasie romande, si vous voulez. C’est pas tout à fait exact comme usage, mais c’est si fréquemment utilisé par les gens d’ici pour parler avec un mélange de fierté et de complexe des particularités de l’espagnol tico que je suis contraint de m’y référer avec ce joli mot.

Ceci pour vous dire que l’été arrive, mais qu’il est précédé par un mesquin petit front froidqui passe au-dessus de notre bout d’isthme depuis trois jours. Donc, il fait 20 degrés. C’est moche (accessoirement, il pleut aussi des piscines olympiques, mais ça on a l’habitude).

Du coup, c’est dans toutes les bouches ces jours : le froid. Et sur toutes les épaules aussi. J’ai vu des écharpes, des bonnets en laine et toutes sortes d’attifements plus ou moins réussis, composés par les pièces les plus chaudes de chaque armoire du pays.

Ce qui m’amène – et ça fait trop longtemps que je traîne – c’est la façon dont on exprime le fait qu’il fait froid, au Costa Rica. J’ai fait un sondage et je suis en mesure de vous transmettre les locutions les plus usitées. On tâchera de voir ensemble si ça dit quelque chose de ce peuple fantastique.

Attention, c’est parti ! C’est du langage populaire, mais utilisé par tout le monde. Jeunes et vieux. Respectables et moins. Inutile de vous dire que je ne me lasse pas d’entendre mes deux collègues retraités, élégants comme tout, cravatés comme il se doit, jurer comme des charretiers parce que c’est culturel !

Au Costa Rica, c’est comme ça qu’on dit quand il fait 20 degrés :

Un lugar mas frio que culo de pinguino  – Un endroit plus froid que le cul d’un pingouin

Me congelo el culo – Je me congèle le cul

Que ofri – Littéralement : Quel oifre. C’est du verlan ! Comme nos laisse bétonchanmé, meuf, etc.

Que frijol – Littéralement : Quel haricot noir. Parce que frijol est proche de frio – froid.

Que pacheco – Quel Pacheco.

Aucun des ticos à qui j’ai demandé l’origine de ce terme n’a la moindre idée de la raison pour laquelle le froid peut bien se nommer Pacheco (qui n’est rien d’autre qu’un nom de famille). En poussant les recherches, j’ai trouvé qu’il s’agit d’une légende vénézuélienne d’un homme qui vivait dans les montagnes. Ils descendait parfois au marché du village avec son âne. Quand il faisait froid au village, on s’inquiétait pour ce que devait endurer le pauvre Pacheco dans sa montagne. J’ai expliqué à mes collègues. Ils sont pas du tout contents que ce ne soit pas costaricain. J’ai dû payer les cafés.

Me estoy cagando del frio – Je fais caca de froid.

Que picha frio – Quel froid de bite

Uh mae, que frio mas hijueputa  – Oh, mec, quel froid de fils de pute

Et les combinaisons :

Que frio mas hijueputa, se me esta congelando el locu – Quel froid complètement fils de pute, ça me congèle le uq (le verlan, de nouveau !)

Attention, éloignez les lecteurs les plus sensibles, voici une version longue de la conversation courante :

Me congelo el culo hijueputa traeme la hijadeperra cobija grandisimo malparido – Je me congèle le cul, fils de pute, amènes mois la fille de chienne de couverture, espèce d’immense mal accouché.

Voilà. Bon, je suis pas autrement fier d’exploser le record du billet de blog le plus grossier de l’histoire des internets. Mais fallait que je vous dise cette particularité du langage d’ici : les mots extrêmement vulgaires qui sont dans le langage courant.

J’ai parlé de ça avec mes vieux psys. Ils disent oui, mais c’est devenu des mots usuels, ils ont perdu leur sens vulgaire. Soit. On a argumenté sur l’usage de hijueputa (dont on a déjà vu le sens) à n’importe quel propos, le fait que tant de phrases communes contiennent le mot carepicha (tête de bite) et que, dans le langage parlé, plein de gens très bien finissent toutes leurs phrases familières par huevon (gros testicule) et ils ont cédé.

Le Costa Rica d’aujourd’hui a tout hérité de son passé campagnard, paysan. Le lieux ont tous des noms d’anciens propriétaires terriens, les noms de rues n’existent pas, les gens sont complètement centrés sur leur famille et le vocabulaire grossier d’aujourd’hui est celui des rustres travailleurs de la terre d’hier. C’est leur théorie. J’en dis que c’est cohérent. Ca vous fait rire ?

 


Viens jouer au foot avec nous !

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Découvrir le football de rue latino, ça fait mal aux genoux

– Viens jouer au foot avec nous, samedi à 15 heures, sur le terrain en concreto du centre sportif Monterrey.

L’invitation décrochée à la quincaillerie de cette banlieue de San José, Costa Rica, pour une partie de foot amicale et informelle était  belle. Pour l’intégration, pour le sport, pour l’avenir de l’humanité. Un partage tendre entre cultures, grâce à l’amour du ballon tissé main et de la belle geste. J’ai 36 ans, ils sont un peu plus jeunes. Qu’importe !

En arrivant à 15 heures, profil bas, vieux t-shirt, Puma Suede grises et noires tannées, je campe un footballeur de rue bien imité, j’ai perdu dix ans. Je cherche à rejoindre Uriel, le vendeur de la quincaillerie qui m’a convoqué. Petit, nerveux, 25 ans. Je m’attends à de la danse sur ballon, je serai pas déçu.

Le Costa Rica, c’est un peu le François Bayrou du foot. Tu sais que ça existe parce que tu les as vus quelques fois, coupe au carré et moustaches s’appelant tous Gerardo Gonzalez, dans les dernières pages des albums Panini. Celles avec les doubles-photos par vignette.

Tu as eu une enfance, si t'as jamais touché cet autocollant ?

Donner du jeu

Terrain en « concreto ». J’avais pas compris. Ca veut dire « béton ». C’est tout con en même temps. Le terrain est donc une place de jeu en béton avec deux pauvres cadres de buts pourris, sans filet, un peu comme le terrain de mon école primaire, en Suisse.

Cela annonçait, dans le désordre : des plaies, des bosses et des courses de dératé pour aller chercher les ballons dans tous les océans après chaque tir.

Et aussi des courbatures à triple injection et seize soupapes.

Mais qu’importe, j’allais faire un foot avec les quincaillers du coin, par un vieux samedi nuageux, dans la banlieue de San José de la Boca del Monte, Costa Rica. Grand Corps Malade peut bien arrêter de se prendre pour un poète avec ses rimes à vingt centimes, la vraie poésie, la grande, l’humaine, elle était bien là.

Je cite Grand Corps Malade (c’est pas de gaieté de coeur, mais par rigueur scientifique) :

T’es pas encore là mais déjà je vois beaucoup de chose différemment 
Tu vas bousculer ma vie, définitivement.

Observons ensemble une courte pause silencieuse pour laisser vibrer en nous les paroles suffocantes et magnétiques de ce génie du verbe.

Mâles dominants et petits ballons

Ah pardon, l’artiste ! Excusez du peu ! T’as bien raison de pas chanter et de faire que déclamer, Grand Corps ! Des vers de cette puissance ! Villon, Lamartine et Brassens peuvent bien aller grater leurs insipides inspirations dans des ateliers d’écriture pour manchots. Ton arrivée remet de l’ordre dans les glorioles passagères de ces slameurs qui t’ont précédé. Respect. Bon.

Je suis arrivé à 15 heures 10. Pour ne pas faire le type qui arrive à l’avance et qui est mort de faim. Intégrer un groupe de mâles, ça suppose quelques connaissances de base, did you know ? Par exemple : profil bas, garder ses bonnes idées pour soi, identifier le mâle dominant, lui trouver une faiblesse, l’éreinter (au propre et/ou au figuré) dans ce domaine en prenant l’air de ne pas y toucher pour gagner l’attention du groupe, puis chercher un domaine ou ce mâle alpha voudra collaborer avec vous pour qu’il vous considère comme son égal.

Cette procédure bien menée conduit à une intégration full success, triple-strike, que j’ai déjà réussi (et foiré aussi) quelques fois. Une partie de karting jurassien fut le cadre d’un tel exploit il y a quelques temps, à l’école de police. Pour les initiés..

Bref. 15 heures 10 donc. Ah ça, j’ai bien fait !

J’ai pu utiliser trois quarts d’heure à me regarder les ongles, compter mes lacets et me mordiller le coude (vas-y, essaies, je t’attends..) en attendant les premiers joueurs. A 16 heures, ils étaient tous là. 8 joueurs. 4 contre 4 sur du béton, ça allait envoyer du lourd.

Les raisins de la colère. Sang et sueur. Marche ou crève. Et plein d’évocation encore de la virilité et de la testostérone.

Dès que les trois pommeaux de la quincaillerie ont fini de scotcher leurs semelles au reste de leurs godasses pour ne pas courir comme des poules d’eau avec les pattes qui traînent sur le goudron, on fait briller le spectacle. Place au jeu !

Après dix minutes, le constat est assez clair. Le préjugé de la surcapacité technique et l’invalidité tactique des latino-américains est confirmé. Ici comme dans les autres pays dans lesquels j’ai eu l’occasion de pratiquer l’art majeur du pousse-ballon avec des pauvres hères bronzés et tricoteurs, on trignole, on ratelle, on passement de jambe et on jonglouille.

Echauffement de footballeur latino-américain

Mais pour la rigueur, c’est désertique comme une réunion de soutien à François Hollande. On entend le souffle du vent, même quand y en a pas.

Meilleur espoir masculin

Puisque même dans le foot corporatif suisse j’avais rien à espérer de mes talents techniques (en dribblant, je ressemble plus à Bambi juste après sa naissance, quand il se casse la gueule en glissant sur ses pattes, qu’à Gilles Jaquet – dont la réputation est assez surfaite soit dit en passant, tant son mécanisme jambier à grande complication est inutile face à n’importe quel défenseur un peu patient), j’ai attendu que tout le monde finisse de faire l’artiste au milieu du « terrain », que ça vienne un peu vers moi et j’ai fait ce que je sais le mieux faire en foot et dans la vie désormais : le ménage !

Allez voir en Grèce si j’y suis, les brodeuses ! Comment ça t’as jamais pris un ballon en pleine figure alors qu’un millième de seconde avant tu étais en train d’attaquer comme fend la bise ? Qu’est-ce que c’est que ce tibia qui traîne au milieu de terrain ? Attention j’arrive et je suis pas content ! C’est pas moi qui ai levé le pied, c’est toi qui mesure 90 centimètres ! La défense virile, rugueuse, soignée, pointue, aigue même, avec de l’angle et du bruit métallique.

Mes Puma grises ont servi de lavette à plusieurs visages pourtant charmants des quincaillers qui ont vite perdu le goût de l’aiguisage.

C’est un plaisir, le rôle de défenseur face à ces Lemmings croisés avec Stéphane Lambiel et Nadia Comaneci (triple croisement, absolument, la génétique a fait des progrès, t’es resté sur le trottoir pendant ce temps ?). Ô j’imagine les transports des Liechti, Progin, Kupper et consorts – mon équipe helvétique teigneuse – s’ils pouvaient goûter à ce plaisir. J’étais Franz Beckenbauer, ils étaient les Eric Mousambani du foot.

Le terrain faisant 13 mètres de long et ma condition physique étant identique à celle d’un étalon alezan (c’est joli ça, non ? étalon alezan… on dirait le nom d’un dictateur arménien – ça a existé les dictateurs arméniens ? je suis pas au point sur l’Arménie) je pouvais me présenter souvent dans la zone de but adverse sans négliger les retours en défense.

Et alors là attention ! Tandis qu’en quinze ans de foot, j’ai marqué trois goals, dont deux en voulant centrer et un de la hanche en évitant le ballon sur un coup franc tiré par un coéquipier – ce qui m’a value seize opérations de galvanoplastie injectée réticulaire pour pouvoir remarcher – j’ai réalisé sur le terrain de Monterrey une série de buts spectaculaire qui auraient fait passer Lewandowski pour un joueur de char (tu te souviens du char ? la belle époque… « j’ai char », « non, t’as pas char »… ah la la, nostalgie quand tu nous tiens !).

Le jeu de char

C’est pas bien complexe, je vais te dire. C’t’équipe de techniciens, dès que la balle est plus haut que leurs épaules (c’est-à-dire dès 1 mètre, grosso modo, pour la moyenne), y a plus personne. Les mecs, ils arrêtent, ils regardent ailleurs, se replacent. C’est entré dans les moeurs. Attention le ballon est en l’air, planquez-vous ! Aïe aïe aïe, des fois qu’on le prendrait sur le crémol !

Donc, tu me vois venir. Même en envoyant des coups de tête dans le vide une fois sur deux, j’ai marqué une collection de buts. Je les enfilais comme des perles. Ils me regardaient pour tout de bon, les quincaillers !

J’était l’élu, l’ange du sauvetage, Noé, Jean-Luc Lahaye, le général Guisan, Simon Bolivar, Christophe Colomb, l’esprit sain ! Le sauveur, c’était moi. Bibi. Mézigue. Mécolle. Ouam. Après vingt minutes, ils m’avaient trouvé un « apodo », les petits noms qu’on se donne une fois et qui restent attachés à vie en Amérique latine : « el artillero suizo ». La traduction me fait suer la fierté, l’orgueil, la vantardise, l’auto-estime par tous les pores (c’est masculin les pores, tu savais ? Un pore. C’est drôle, non ?) : l’artilleur suisse. Mesdames, Messieurs,faites place à l’Artilleur Suisse !

Lunettes de soleil pour tout le monde ! Attention, j’explique l’effet en alexandrins (compte les pieds et n’en oublies point !) :

Brillant tant qu’un petit regard à lui jeté
Même bref, d’un coup sec vous cuira la cornée. 
© moi-même. 

Ils étaient pas tanches les mecs. Mais y avait de la place pour une nouvelle discipline. Disziplin, devrais-je dire, tant le contraste latino-germanique paraissait caricaturé.

A ce stade, tu penses que ça va se gâter ? Que pour oser une telle auto-célébration, la chute doit être à la hauteur de l’ascension (qui tombe bien) ? T’as raison, tu t’en doutes.

El Kiss Cool #dos

Au bout de pas long, j’attends la pause. J’ai les genoux qui sifflent, la colonne qui cherche à toucher par terre à chaque virage et je suis hors d’haleine. Le foot à cinq, comme le foot en salle, ça se pratique bien avec des petites pauses régulières.

Je suis devenu pote avec mes coéquipiers, mais on a pas le temps de se causer.

Manuel, Manuel (le second est le fils du premier), Ariel et Mechas. Le dernier nommé semble être le simplet du groupe. Il est visiblement Nicaraguayen, ce qui la fout aussi mal qu’être frontalier français à un barbecue du Mouvement Citoyen Genevois.

Son nom « Mechas » vient du fait qu’à la quincaillerie, il est chef des mèches. Me demande rien de plus, c’est de l’info qui se suffit à soi-même. Il a plein de particularités qui sont évoquées tant par ses équipiers que par ses adversaires durant la partie. Il ressemble à un gros testicule, il est homosexuel et sa mère vend ses charmes (huevon, maricon, anda a la puta que te pario, c’est ce qu’ils disent). De la poésie humaine, je vous disais.

Le grand cirque du foot, ici comme ailleurs.

Mais elle ne vient pas. Qui ? La pause ! Elle ne vient pas et plus je l’espère, moins elle vient. J’ose pas réclamer un break, because la fierté mâle qui m’inonde. Mais je reviens moins, je monte moins, je marque moins. Bref, je fais tout moins.

Sauf respirer. Ca je fais beaucoup, beaucoup plus. Et plus vite. Les mecs, ils patinent toujours en rythme. En haut, en bas, petit-pont, râteau, sombrero, scorpion, tout continue à y passer.

Tu veux que j’abrège ? Très bien : deux heures. On a joué DEUX HEURES sans la moindre pause, sans la moindre goutte d’eau. Je crois que j’ai perdu 32 à 31. C’est de ma faute. Durant la dernière demi-heure, mes coéquipiers devaient éviter mon corps dans la zone d’attaque.

A la fin, le soir tombait. Ils m’ont dit qu’on rejouait demain, dimanche matin. Je les ai regardé, ils m’ont regardé, je les ai regardé et j’ai dit : « je peux pas, je vais à la messe ».

J’ai pas pu aller à la messe, dimanche.

J’ai descendu les escaliers en marche arrière pendant trois jours. J’ai eu mal sous les pieds comme si on m’avait scalpé les plantes. A la place des hanches, on m’avait greffé une enclume rouillée. Je passais le petit seuil de la douche en m’asseyant dessus.

Je suis retourné mejenguear avec les types de la quincaillerie depuis. Mais je suis rentré dans le rang. Plus personne ne m’appelle l’artillero suizo. Ils m’aiment bien quand même, l’équipe, même si j’ose pas encore insulter Mechas.

Crédit image : Cathy_SBD/Flickr


Nous apprenons à devenir des hommes

(De San José, Costa Rica) David a 32 ans, c’est un policier costaricain. Il est sorti de prison il y a trois jours : « J’ai connu la vraie solitude. La prison est devenue mon monde. Je suis resté en cellule vingt-trois heures par jour pendant neuf mois. A la fin, j’avais peur de sortir. »

Dans la salle de séance de l’Institut WEM à San Pedro, dans le centre de la ville, ils sont près de 120 à l’écouter. Certains sont là contraints par la justice, dans le cadre de mesures de protection prises après des violences conjugales. D’autres parce que leur épouse ne leur a pas laissé le choix, les menaçant de rupture. D’autres enfin sont de simples volontaires. L’assemblée semble représentative de la société costaricienne.

« Et puis j’ai désobéi »

David porte un jean et une veste de training hors d’âge. Il a les cheveux très courts et ne sait pas quoi faire de ses bras devant tout ce monde. Il paraît mal à l’aise. Sa lèvre tremble un peu, ses yeux sont humides.

« Il y a un an, j’ai été violent avec ma femme. J’ai été condamné à neuf mois avec sursis.

Après le jugement, je suis venu à WEM pour participer aux ateliers pour hommes, pour apprendre à gérer ma colère. J’ai fait 45 séances et j’ai compris beaucoup de choses. Et puis j’ai désobéi. J’ai désobéi aux mesures de protection.

Ce que j’ai fait et que je regrette, c’est d’écrire un message à la sœur de ma femme. Un message. Et ils ont ordonné mon arrestation. »

« Devenir meilleurs et renoncer à la violence »

David se tient maintenant comme un policier devant l’assemblée : jambes écartées, mains sur les hanches. Il semble chercher sa ceinture de charge, son pistolet, son étui de menottes, pour prendre la pose. Mais il n’est plus policier.

Il est un homme nu, seul, et il raconte son histoire au groupe d’hommes qui ont choisi de « devenir meilleurs » et de « renoncer à la violence » en participant aux ateliers :

« Dans ma cellule, il y avait un homme qui a pris trente-cinq ans pour avoir tué sa femme. Un assassin. J’ai vécu avec lui vingt-trois heures par jour pendant neuf mois. Avec un assassin. »

David se pince le nez, baisse le regard et marque une pause. Il est ému. L’assemblée est muette. Alvaro Campos, le directeur de WEM qui anime le début de cette séance, s’approche de David et lui met la main sur l’épaule. Il l’encourage à continuer : « Prends ton temps »

David reprend, mais sa voix chevrote : « C’est dur la prison quand on est policier et que les prisonniers le savent. » Nouvelle pause, David sanglote seul. Dans cette salle aux murs verts et aux néons tremblants, il a l’air d’un enfant triste.

Violence de genre et féminicide

Il y a cinq ou six retraités, une vingtaine de personnes entre 40 et 60 ans, vingt entre 30 et 40, et quelques plus jeunes. Des hommes en costume, en tenue de sport, en bleu de travail ou en tenue de ville. Des moustachus, des à lunettes, des ventripotents et des athlètes. Des bien sapés, des dépenaillés. Urbains tout de même, pour la plupart.

Ils se sont adressés à l’Institut WEM, qui se propose de redéfinir la masculinité, d’éduquer des hommes nouveaux et de prévenir les violences domestiques.

Les violences intrafamiliales sont problématiques dans toute l’Amérique latine. L’histoire violente (régimes militaires, révolutions et autoritarisme, à tour de rôle) et la tradition patriarcale engendrent des dynasties d’hommes violents avec leur épouse et avec leurs enfants.

La banalisation de la violence, due aux actes connexes, à la circulation de la drogue et aux actions des gangs, est également une cause du recours presque automatique à l’intimidation et à l’exercice de la force. Un excellent article de Manuela Masa pour Itebco.be dresse l’inventaire de la violence endémique et de l’état des meurtres de femmes en Amérique latine. Au Costa Rica, plus de 200 femmes chaque jour s’adressent aux autorités pour dénoncer un mari violent.

Contraints à être puissants, virils, dominants

WEM compte quinze employés, psychologues et travailleurs sociaux et un réseau d’hommes « Red de Hombres » – une cinquantaine de bénévoles – qui s’engage auprès de l’Institut pour organiser les activités. Les professionnels ont créé une méthode pour faire travailler les hommes sur leurs valeurs et leurs histoires, et leur proposer de s’engager à être non violents.

Il s’agit d’aborder le machisme de front. D’expliquer aux hommes par quelle construction sociale ils sont contraints à être puissants, virils, dominants, et à se comporter de manière à le faire savoir.

Logo de WEM

Pour cela, de nombreux ateliers sont organisés. Des séances de groupe comme ce soir, des cours de gestion de la colère, de gestion de la séparation matrimoniale, des cours pour apprendre à être un bon père, des séances pour discuter de la masculinité et du rôle de l’homme…

Affiche de WEM

En outre, l’Institut propose des ateliers destinés aux adolescents et aux jeunes hommes, qui sont invités à se pencher durant des séances d’une journée sur leurs rôles, sur la question de l’égalité et de la prévention de la violence contre les femmes.

L’assistance est impressionnante : lors de ma dernière visite à une séance de groupe, 120 hommes étaient présents.

Les femmes ont changé, pas les hommes

Alvaro Campos dit que les femmes ont changé :

« En Amérique latine comme ailleurs, l’émancipation leur permet d’accéder aux études, de revendiquer le droit de travailler, de vivre en société, de partager les tâches domestiques…

Cette émancipation a été expliquée aux femmes latino-américaines dans les écoles, par les mères, tantes ou sœurs. En revanche, les hommes n’ont reçu aucune mise à jour. »

Personne n’est là pour leur indiquer que quelque chose a changé dans la distribution des rôles et des tâches. La source de leurs connaissances en matière de vie de couple, c’est le père. Les jeunes hommes costariciens, nicaraguayens, guatémaltèques ou mexicains reproduisent les actes qu’ils ont vus – ou subi – durant leur enfance :

« Ils échouent dans leurs relations de couple. Beaucoup d’hommes qui s’approchent de WEM le font parce qu’ils ne parviennent pas à faire durer une histoire d’amour, à vivre en couple, à garder leur famille. Ils perdent leur femme, leurs enfants et doivent verser des pensions alors qu’ils ne gagnent presque rien. »

La justice costaricienne est moderne. Les violences intrafamiliales sont sévèrement punies et les expulsions de domicile, interdictions de visite aux enfants et versements de pension alimentaire sont ordonnés chaque jour par les tribunaux suite aux plaintes des épouses et mères.

Les machos de boulevard n’ont pas changé

Les attitudes des hommes latino-américains n’ont pas bougé depuis l’époque des conquistadors. Quelques semaines au Costa-Rica suffisent pour en juger. Exaltation de la virilité, exagération des signes extérieurs prétendus d’autorité, les hommes de la rue se comportent comme des cowboys.

Les hommes sifflent encore les femmes sur les trottoirs, klaxonnent, font des clins d’œil et ricanent en groupe. Si toutes les femmes de ces contrées ne sont pas encore passées au combat féministe, la distance qui sépare les attitudes médiévales des machos de boulevard et la modernité des femmes du XXIe siècle est énorme.

Rutman est psychologue et anime les ateliers de gestion de la colère à l’institut WEM :

« Désespérés, de nombreux hommes comprennent qu’ils doivent apprendre quelque chose de nouveau. Ou alors on le leur suggère. Une femme, une sœur, une fille ou des amis qui ont entendu parler de WEM à la télévision ou dans les journaux. Un juge, un tuteur, un assistant social aussi, parfois. »

« Macho et autoritaire », envoyé par sa femme

Durant cette soirée de groupe du mois de décembre, les hommes sont encouragés à parler par les animateurs. Ils les poussent à raconter leurs histoires et leurs mésaventures, et lorsqu’un participant ose, cela devient une séance de thérapie. Les règles sont répétées en début de séance : « Parler de ce que nous ressentons, écouter les autres. »

Alberto a 28 ans. Un animateur lui donne la parole parce qu’il ne le connaît pas ; c’est pourtant sa onzième session. Alberto dit qu’il a été envoyé ici par sa compagne parce qu’il est macho et qu’il est autoritaire. Alberto a été violent avec ses enfants et son épouse se plaint d’être terrorisée. Alex l’interroge

« Comment as-tu appris à être ainsi ?
– A la maison. Mon grand-père m’a élevé. Il me frappait avec sa ceinture et lâchait les chiens sur moi quand je ne fais pas les choses comme il le voulait. »

Cette confession en amène d’autres. En une séance de trois heures, les histoires de ces hommes aux dehors solides, virils, se succèdent. Aldo a 50 ans environ. Il en dit peu au début puis se laisse aller et révèle qu’il a été torturé par ses parents, qui lui baignaient les mains dans l’eau bouillante lorsqu’il avait 6 ans.

« J’ai hérité du trône de mon père »

Aldo pleure longtemps, dans un silence gênant cette fois. Il dit comprendre qu’il est devenu l’homme violent qu’il a connu : son père. « J’ai hérité du trône de mon père », résume-t-il.

« J’avance, grâce aux séances de WEM. Mais ma femme et mes enfants, qui ont grandi, me disent encore qu’il sont terrorisés lorsqu’ils me désobéissent. Combien de temps il me faudra pour regagner leur confiance ? Combien de temps ? »

Au centre de cette Amérique latine, dans cette salle laide et sans chaleur, les hommes parlent de l’amour des pères, des caresses des mères, des jeux d’enfants et de la tendresse qui manque. L’image de l’homme latino macho et sûr de lui se fend. Ils ne sont qu’une grosse poignée, mais WEM fait son chemin. L’idée d’une remise en cause de la masculinité virile et autoritaire avance.

J’ai quitté mon travail d’inspecteur de police en Suisse, après quinze ans de carrière. Depuis un an, je vis à San José, Costa Rica, avec ma famille. Nous nous sommes engagés pour une mission de deux ans, au service d’organisations non gouvernementales. A l’Institut Wem, je participe à l’animation des travaux de groupes pour les hommes et je dirige le programme de thérapie par le théâtre et l’apprentissage de l’expression corporelle. 

J’ai écrit cet article en janvier 2013. Il a été publié par plusieurs médias en ligne et journaux francophones et anglophones. Il figure en version longue sur le blog L’Homme Simple.


Les caquelons de l’ambassadrice

La fondue au fromage est préparée dans un "caquelon" posé sur un réchaud idoine
La fondue au fromage est préparée dans un « caquelon » posé sur un réchaud idoine

 

Le fromage Suisse nous manque. Depuis un an que nous sommes au Costa Rica, nous n’avons pas mangé de fondue !

Le plat national, la fierté du pays. Gruyère et Vacherin fondus dans du vin blanc et dégustés en communauté, sur des morceaux de pain.

Hier, nous avons véMon amoureuse rentrait de reportage au Honduras. Un couple d’ami arrivait de Suisse pour nous rendre visite et nous leur avions demander de nous amener de quoi faire une fondue.

Pour célébrer le retour d’Anouk et l’arrivée d’Andreas et Sabrina depuis la Suisse, j’ai organisé une soirée fondue à la maison, hier soir. Les Helvètes arrivaient avec le fromage. Dix invités étaient attendus. De Suisse, Allemagne, Mexique, Honduras et Costa Rica.

Où diable va-t-on trouver des caquelons (et des réchauds) ?

Greg : on n’a qu’a demander à l’ambassade de Suisse

Anouk : t’es malade ?

G : Quoi ? Ils sont Suisses, ils ont de l’argent. Donc ils ont des caquelons. Non ?

A : Mais on va se ridiculiser. Ils ont autre chose à faire que te prêter des caquelons.

G : Certainement. Mais avant d’être une ambassade, c’est des humains, non ? Quand on demande de l’aide à des humains, je crois qu’instinctivement ils te rendent service.

A : Mais non. On se débrouille, on fait avec des réchauds de camping et des casseroles. En plus, tu as une demande de financement pour un projet WEM pendante auprès d’eux. S’ils te prennent pour un clown, tu vas nuire à ton association.

G : Mais pas du tout. Ca rajoute un peu de sympathie dans l’histoire. Quand ils débattrons des projets qu’ils choisissent de soutenir et que le projet WEM sera sur la table, ils diront « ah ouais, c’est le clown des caquelons ! ». C’est un immense avantage. C’est du marketing Anouk. Je parie sur l’affect, tu comprends.

A : Tu te fous de moi, là.

G : Non, je t’assure. Au pire, ils me prennent pour un guignol et m’envoient bouler en me disant qu’ils ont du travail, Monsieur, laissez-nous tranquille s’il-vous-plaît et je finis avec l’air débile, mais bon. L’air débile, j’ai déjà essayé plusieurs fois, ça me fait pas mal.

François Pignon à Escazu

Anouk est partie au Honduras. Découvrir des horreurs, des conditions de vie d’une insondable difficulté qu’elle rapportera dans plusieurs articles et émissions radio dans les semaines à venir.

Moi, j’ai écrit à l’ambassade de Suisse au Costa Rica.

Deux longues journées sans réponse. Avec la peur du ridicule, un peu, quand même. A faire des projets de fabrication de caquelons en pâte à sel. A tailler des palmiers pour faire des bûches à flamber.

Et ce téléphone marrant jeudi, depuis le bureau de l’ambassade : Mme l’Ambassadeur a reçu votre courrier et a demandé que des réchauds et caquelons soient préparés à votre intention. Vous pourrez passer les chercher demain à sa résidence. 

Je suis allé dans les beaux quartiers, à Escazu. A la recherche de la résidence.

J’ai parqué mon épave devant la demeure blanche, céleste, étincelante surmontée d’un superbe drapeau à croix blanche.

En tongs, j’ai accosté le garde : je suis le monsieur qui vient pour les caquelons (j’ai dit « caquélonnesse » en espagnol).

Il m’a regardé comme un dératiseur regarderait un nid de cloportes. A désigné un carton posé là en me demandant si le terme que je venais d’utiliser dans la langue de mon ethnie pouvait désigner son contenu.

Impatient, j’ai contourné son revolver, ouvert le carton et aperçu le Graal. Deux réchauds Stöckli sublimes, deux caquelons en terre cuite pour assommer des rhinocéros et un petit mot gentil de Mme l’Ambassadrice pour nos invités et pour nous.

Ivre d’allégresse et de gratitude pour des diplomates généreux à taille humaine j’ai fait signe au cerbère qu’oui-si-da-yes c’était bien ça et j’ai carapaté avec ma guinde direction notre modeste banlieue.

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Fondue mésoaméricaine

Hier soir, on était douze autour des caquelons de l’Ambassadrice. Le fromage était exquis. Ca nous a beaucoup manqué, le fromage.

Les Suisses, l’Allemand et les Mexicains ont fait honneur à cette gommeuse tropicale arrosée de Chardonnay chilien du meilleur effet.

Les costaricaines et le hondurien ont fait comme si c’était normal de manger du fromage sans autre nourriture, brûlant et poivré.

Ils étaient chous avec la bouche prête à exploser, remplie de notre délice national, se forçant à mâcher un plat si curieux. Réalisant qu’il n’y avait rien d’autre à manger que cette mélasse de vache et que, s’ils parvenaient à faire descendre ces boules collantes jusqu’à leurs estomacs, c’est nécessairement à cet endroit que ça durcirait et les tuerait d’un coup sec par asphyxie endo-gastrique.

Ils ont été gentils et ont fait signe que c’était bon (avec les yeux exhorbités, le souffle court, la gorge bouchée et les joues pleines). Après, on leur a fait du riz aux haricots, parce qu’ils avaient été braves et qu’on doit toujours goûter les aliments.

Ils sont partis contents comme jamais d’avoir été colonisés par les Espagnols plutôt que par les Suisses.

C’était un belle soirée internationale. Les filles étaient hystériques.

On remercie les formidables Andréas et Sabrina, pour le fromage et pour l’excellente compagnie. Ils sont partis ce matin pour découvrir la péninsule d’Osa.

Et puis surtout, on remercie Mme l’Ambassadrice de Suisse Yasmina Chatila Zwahlen pour ce service amical et patriotique.

Avec un clin d’oeil familial à Catherine Dobles-Perriard.

A : T’es quand même un malade.

G : Mais pas du tout. Je vais envoyer cet article à l’ambassade. Peut-être que l’ambassadrice laissera un mot en commentaires !

A : Je veux divorcer.

G : On n’est pas mariés.


Au bout du suspense, qualifications américaines pour le Mundial

A 15 minutes de la fin des matchs de qualification pour le Mundial 2014, ce soir, les centro-américains avaient réussi un coup incroyable !

Ils se sont assis dessus, dix minutes plus tard. Mais le Costa Rica reste vainqueur, qualifié et footballistiquement fou de joie.

Drames et cris

A sept minutes de la fin de ces éliminatoires donc, le Panama prenait l’avantage sur les Etats-Unis 2-1. Pendant ce temps, le Costa Rica battait le Mexique sur le même score et le Honduras assurait l’essentiel face à la Jamaïque. Cela envoyait le Panama en barrage et le Mexique à la recherche de son amour propre, non-qualifié pour le Mundial 2014. Ô joie !

Le but victorieux du Costa Rica a été marqué de la tête par ce vieux Alvaro Saborio, l’ancien joueur du FC Sion dans ma Suisse natale, aujourd’hui centre-avant du Real Salt Lake, aux USA.

Je m’offre le plaisir de vous faire écouter le moment du but de Saborio sur la radio Columbia que j’écoutais ce soir en regardant le match. Je vous jure que ça vaut l’os jusqu’au bout.

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On n’aime pas les mexicains

Grâce à ces scores idéaux, les centro-américains, solidaires dans l’effort contre les nord-américains – dont fait partie le Mexique –  se congratulaient d’avoir réussi l’exploit vibrant de priver les Mexicains de la coupe du Monde.

Les USA étaient déjà qualifiés avant cette dernière ronde, mais l’inimitié pour le voisin mexicain taxé d’arrogance et de suffisance faisait exploser tout l’isthme, réuni dans l’anti-mexicanisme primaire.

Une sainte-alliance ad hoc panaméno-honduro-costaricienne recevait le pouvoir du crâne ancestral directement des mains de Musclor.

Musclor

 

A San José, les images de Chicharrito, le meilleur joueur mexicain, se frottant les cheveux de dépit ravissaient les spectateurs.

Chicharrito qui fait la moue

 

Et soudain, paf !

USA, Costa Rica et Honduras étaient qualifiés. Le Panama irait affronter la Nouvelle-Zélande en barrages.

Mais à quarante secondes de la fin du match, à Panama-City, Les Etats-Unis égalisent puis marquent même un troisième but dans la foulée. Le coup de sifflet final est sifflé droit derrière !

Après avoir hurlé leur joie et leur désamour pour le Mexique, avoir chambré tout ce qui est vert et pissé dans des Coronas pendant une 7 délicieuses minutes, tous les footballistes d’ici ont perdu le sourire. Le Mexique était barragiste !

La morale de cette histoire, la rirette

Les Ticos sont contents, ils sont mondialistes. Et j’ai découvert ce soir la curieuse ferveur anti-mexicaine. Au bout du compte, je suis devenu supporter du Costa Rica, c’est obligé. Ce sera pas très long leur séjour au Brésil, je pense. Mais je me réjouis quand même.

Au final, pour la zone CONCACAF (du Canada au Panama, grosso-modo), ce sont les USA, le Costa Rica et le Honduras qui sont qualifiés.

Le Mexique va en barrages contre la Nouvelle-Zélande.

Inutile de préciser, j’imagine, que la Nouvelle-Zélande compte de nombreux nouveaux supporters ce soir.


Le complexe du short

Ok, le collant c'est un peu abusé !
Ok, le collant c’est un peu abusé !

Ca m’amuse, le rapport à la pudeur. Les bonnes manières et le savoir-vivre à travers le monde.

Aujourd’hui, il fait un bon 28 degrés à San José, Costa Rica.

En Suisse, j’aurais bondi dans une belle paire de shorts pour sortir prendre l’air doux, estival et le laisser m’aérer les mollets. J’aime la caresse de l’air chaud sur mes jambes, qu’est-ce que tu veux que je te dise ! Eventuellement, j’aurais pris un pantalon à canon longs (c’est joli) pour le travail. Et encore. 

Il n’en est pas question ici en Amérique latine. Porter des shorts en ville m’attire des regards qui ressemble à ceux qu’on jetterait à un homme qui se promènerait skis aux pieds.

Pas plus que dans bien des pays du monde (vous portez des shorts en ville, vous ? ). D’ailleurs, les pays du Sud, d’après l’échantillon peu représentatif de mes petites expériences de voyageur sont les plus couvreurs de jambes d’hommes. Les plus chauds aussi. Ce paradoxe m’intrigue. Il est amplifié par chaque canadien, norvégien ou polonais qui exhibe ses guiches en shorts et tongs quand il fait 5 degrés. Explications possibles.

Une puissance surnaturelle nous ordonne de nous couvrir les jambes. Oui, alors bon ok. Comme on ne va pas à l’Eglise en maillot de bain, on ne sort pas en ville en shorts. C’est conséquent, je peux rien dire. Les nordistes qui osent le short au restaurant sont des impies vulgaires, soit. Mais elle faisait quoi cette puissance surnaturelle au moment de dicter les consignes pour la façon de saluer une femme, la courtoisie au volant et l’art de se remettre l’entrejambe en place discrètement ? Pourquoi au Costa Rica, le short ne se porte pas ailleurs qu’à la plage mais alors oui, on peut gaiement siffler n’importe quelle femme, hurler sur un conducteur ou se manipuler la braguette fièrement pendant un lustre ? C’était une puissance surnaturelle qui en avait après les poils ? Et elle dit rien pour les moustaches ? Je sais pas. Si quelqu’un me trouve un Epître anti-bermudas, je serais intéressé.

Il faut nous protéger contre les sangsues. D’abord, un pantalon ne protège pas contre les sangsues, j’en sais quelque chose. Ensuite, y a quand même pas tellement de sangsues dans les villes latino-américaines. Ca me paraît pas une bonne explication.

C’est un héritage culturel. Ca c’est sûrement vrai. Et je l’ai bien vu, les quelques fois où il faisait décemment trop chaud pour porter des pantalons. Même avec mon petit bermuda propret, j’attirais les foudres de tous les passants. S’il n’y a rien de religieux et si c’est pas pour les sangsues, c’est nécessairement à cause de la construction culturelle, de la tradition. Un commandement qui dirait « dans les pays du Sud du Monde, on n’a jamais montré les tibias des hommes, c’est pas maintenant qu’on va commencer ». Moi j’en dis que c’est dommage, parce qu’on est mieux en habits courts quand il fait chaud, je trouve. Mais on ne peut s’expatrier sans s’adapter humblement aux coutumes, n’est-ce pas. J’ai donc les mollets qui suent depuis un an que je vis en Amérique. Mais je m’y fais.

Outre la longueur des pantalons, il est bien d’autres usages qui diffèrent entre la Suisse et le Costa Rica.

Tu t’en fous de savoir comment je vais. En Suisse, la question « comment ça va ? » est devenue parfaitement inutile. Le Suisse, porté sur l’efficience et passionné par la chasse au gaspillage, n’aime pas ce qui ne sert à rien. Il n’y a pas mille solutions pour le Suisse confronté à une question inutile : il ne répond pas.

– Salut, ça va ?

– Salut.

Ici, la courtoisie des conversations privées est largement plus agréable. On prend soin de son interlocuteur et quand il répond comment il va, on ajoute quelques propos agréables avant de passer aux sujet principal du dialogue. J’aime ce respect et cette chaleur humaine.

Pas de conflits inutiles. La courtoisie est parfois poussée à l’extrême au Costa Rica. Le goût pour le bien-être de son prochain mène souvent les Ticos (les habitants du Costa Rica, ndlr) à éviter tout propos désagréable. Jusqu’à l’absurde. A toujours prétendre que tout va bien.

– La route s’est effondrée cette nuit, il faudra traverser la ville, comptez environ 3 heures 30 de route pour faire les 15 kilomètres de votre domicile à votre lieu de travail. Peut-être un peu plus pour rentrer ce soir.

– Pura Vida.

Pura Vida, c’est l’expression nationale costaricaine. Ca veut dire que tout va bien. Que tout est ok. Qu’on est content. Une situation est Pura Vida. On peut se sentir soi-même assez Pura Vida. Une voiture, sortant du garage, est souvent Pura Vida (ça ne dure pas toujours, ceci dit).

Le eye-contact n’a aucun intérêt. C’était choquant pour moi au début. Tous ces gens qui me serrent la main en regardant ailleurs. Moi j’avais bien appris que c’était OBLIGATOIRE de regarder la personne qu’on salue dans les yeux. Alors je croyais qu’on s’en prenait à moi. Dans un atelier il y a quelques semaines, j’ai demandé à un groupe d’hommes avec lequel je travaillais s’ils trouvaient ça offensant, de ne pas se regarder dans les yeux en se saluant. Ils ont réfléchi et m’ont assuré que non. Que c’était parfaitement normal.

Qu’est-ce que tu veux faire. Si on te dit que ce n’est pas une offense. Et que tu continues à t’offenser, c’est toi l’âne, non ? Alors je salue maintenant les gens en regardant mon téléphone, ma poche, mes clés, l’horizon, une voiture qui passe, les travailleurs d’en face, au choix.

J’en ai encore plein, des différences de coutumes, de savoir-vivre, de définition de bonnes manières. Ce sera peut-être pour des prochains épisodes du « complexe du short ».

Dites-moi, vous ! Avez-vous des expériences de différences de bonnes manières ? Des usages de chez vous qui ne sont pas connus ailleurs ?

 

Complément du 16 octobre :

Hier j’ai voulu faire un saut au bureau, je portais un élégant bermuda.

Mon vendeur de fruit m’a arrêté : tu vas quand même pas aller au bureau comme ça ? J’ai dit que si. Il a dit que non.

J’ai dit : tu te moques, tout le pays va bosser avec le maillot de la sélection aujourd’hui sous prétexte qu’il y a match ce soir et moi je peux pas montrer mes genoux ?

Il a dit que c’était pas pareil. Qu’il y avait pas match de l’équipe des mollets nus ce soir et que je devais rentrer mettre un pantalon. C’est ce que j’ai fait.

 

 


Quitter la Suisse, t’es malade ?

Comment et pourquoi on quitte le pays le plus riche du monde

(et bien, notamment parce que la sortie n’est pas définitive..)

Comme nous avons deux petites filles, d’un et trois ans, il a fallu bien nous préparer. On s’expatrie pas pareil avec des nourrissons qu’avec son enthousiasme comme seul bagage. C’était il y a plus d’un an.

On a trouvé une organisation non-gouvernementale suisse qui envoie des gens dans les pays du Sud. Pour travailler pour le compte d’organisations locales qui travaillent à la promotion des droits humains.

C’est une manière de faire de la coopération vachement bien pensée. Ca nous permet d’arriver tranquillement et d’apporter une plus-value à une organisation déjà existante, animée par des habitants du pays.

En réduisant sensiblement l’impact négatif. L’organisation qui nous a envoyé s’appelle Eirene Suisse.

Eirene examine avec soin le travail de ses partenaires et, surtout, n’envisage d’envoyer quelqu’un que si le travail qu’il y réalise ne prend pas le travail de quelqu’un de local et si ce travail peut être pérennisé à la fin de sa mission.

On a trouvé ça éthique, mesuré et responsable.

Neuchâtel, notre ville en Suisse
Neuchâtel, notre ville en Suisse

Sortie du paradis

Alors on a démissionné de nos emplois, renoncé à nos salaires, quitté notre joli appartement et notre voiture. On a aussi dit au revoir à nos familles, à nos amis. Et, après une superbe fête de départ, on s’est envolé pour notre Amérique le 27 novembre 2012. Il y a bientôt un an.

La Suisse est le pays le plus riche du monde. Elle possède l’économie la plus compétitive du monde. Et c’est le pays du  monde où il vaut le mieux naître en 2013 (me cherchez pas des noises, les sources sont sûres et actuelles !).

Notez pour être précis que la question de la naissance doit être tempérée.

Certes, la Suisse est l’endroit où il vaut le mieux naître au monde. Pour autant qu’il s’agisse de sortir d’un ventre propriété d’une femme de nationalité suisse. Tu imagines que le droit du sol, c’est pas pour demain.

Alimentation générale helvétique
Alimentation générale helvétique

Ca suffit pas ? Y a des Suisses qui me lisent et qui veulent chinoiser ?

Bon ok, alors la Suisse a aussi le plus grand pouvoir d’achat du monde par habitant et la Suisse est l’endroit au monde où on gagne de quoi payer un kilo de pain en un temps record (6 minutes, contre 59 à Caracas ou 70 à Manille). Voilà.

Pourquoi tu t’en vas, alors ?

C’est une vraie démarche de quitter la Suisse.

Quand je suis né, je me suis pas rendu compte tout de suite du privilège.

Même ensuite, à l’école on ne nous disait pas « tu te rends compte que tu es né en Suisse ? Tu es au courant que chaque année, il y a 132’675’000 bébés qui naissent dans le monde, dont seulement 82’164 sont suisses ? que tu avais 0,06% de chance d’être Suisse ? ». Non. On nous disait pas ça.

Ensuite, au service militaire, au foot, à l’Université, rien du tout.

Alors bien sûr, tu grandis et tu crois que c’est normal.

Comme tu n’es pas tout seul et qu’il y a plein de gens bien intentionnés, on t’explique finalement que c’est comme ça parce que ton papa et ses aïeux ont travaillé dur.

Que oui, bon, c’est possible qu’on soit hyper riches, mais c’est seulement parce que :

  1. on est intelligents
  2. on est vertueux
  3. on est travailleurs

Tout ça de père en fils depuis la création du pays, il y a 722 ans..

Moi, en Suisse
Moi, en Suisse

En même temps, y a des gens qui gueulent que « Attention, on tente de nous envahir, y a plein de pauvres et ils veulent tous l’argent qu’on a à cause qu’on est vertueux, intelligents et travailleurs ! ».

A 20 ans, si tu es un garçon (ce qui vaut mieux, quand même hein, parce que bon l’égalité non plus, c’est pas tout à fait au programme), tu dois passer 4 mois au service militaire.

J’y suis allé et j’ai bien compris là, le fonctionnement du  monde. Les cadres, à l’armée, tu les vois venir, ils sont pas tout à fait sensibilisés à la géopolitique et à la répartition des richesses.

L’option partage et intégration n’est pas livrée avec le casque en plomb et le fusil. Donc, si tu n’avais pas compris que c’était pas une question de chance d’être né en Suisse, mais une question de droit, de légitimité, d’héritage et de toutes sortes d’âneries qui ne résistent pas à la moindre analyse (ce mot non plus n’est pas très répandu dans les casernes, j’ai noté), on t’explique encore une dernière fois.

La vraie naissance de l'homme suisse
L’éveil de l’homme suisse

Après, si tu ne vas pas parler avec d’autres gens dans le monde, tu peux passer une vie entière en Suisse en pensant que c’est chez toi et que « si tu es né à Madagascar, c’est quand même pas de ma faute ou quoi ? » . Voir même « on a fait des meilleurs choix, qu’est-ce que tu veux, ils n’avaient qu’à bosser, comme nous »

Je me demande comment le paragraphe ci-dessus est reçu par les lecteurs de Mondoblog qui tomberaient dessus. Mais je vous jure que ce n’est pas caricatural, j’ai entendu tout ça, pendant toute ma vie en Suisse. Vraiment.

 

Parce que c’est facile

C’est pas un sacrifice qu’on a fait, on n’est pas des martyrs. On est très loin d’être des héros. C’est pas de la fausse modestie, il y a une raison pour laquelle on a pas de mérite :

C’est ça qui est bien avec le fait d’être né Suisse : c’est que ça dure !

Tu peux aller t’égayer où ça te chante, quand tu reviens, tu es toujours Suisse. Tu fais partie du groupe, si tu veux. On t’acceptes. Tu peux reprendre ta place au chaud, chercher un job qui sera le mieux payé au monde.

 

Et alors, qu’est-ce qu’on fait ?

Donc, on découvre le monde, on essaie de piger les fonctionnements, les injustices et de participer à toute petite minuscule échelle à en résoudre une  ou deux. En même temps, on crache pas dans la soupe.

La Suisse, j’aime bien c’est clair. C’est propre, c’est chic et ça marche bien. Et puis il y a tous ces gens fantastiques qui bataillent depuis l’intérieur pour qu’on partage un peu le tas de pognon sur lequel on est assis. Des organisations géniales qui font un très beau travail. Et puis aussi des gens qui galèrent, qui peinent à joindre les deux bouts.

Mais des fois, ça me pique un peu la Suisse. Mon papa dit qu’il n’aime pas aller dans les brocantes parce qu’il a l’impression que les vieux trucs en laine le piquent. La Suisse, c’est pareil. Si tu restes bien concentré et bien à l’intérieur, c’est comme si tu avais trop chaud. Comme si tu manquais d’air. Que tu avais besoin de sortir un petit coup au froid pour respirer.

J’aime la Suisse. On m’a vu gueuler l’hymne national dans plein de stades du monde,  j’adore la douceur de vivre et toute cette tolérance qui règne chez une bonne partie de ses habitants. Mais je déteste la xénophobie, l’égoïsme, l’intolérance et l’ultralibéralisme meurtrier qui l’envahit parfois. C’est contre ça que j’en ai gros. Ce site sera insolent avec la Suisse. Mais avec la partie que j’aime pas. Il sera aussi question de ce que j’aime là-bas, chez moi.

Vue d’ailleurs

Le couteau suisse, c’est des points de vue sur la Suisse depuis ailleurs dans le monde. Aujourd’hui, je suis au Costa Rica, en Amérique latine. On verra dans les mois qui viennent les comparaisons entre l’Eden, le numéro 1 et le reste du monde.

A vous la parole

Quelque chose vous interpelle ? Vous choque ? Vous n’êtes pas d’accord ou vous voudriez en savoir plus ? Je vous supplie de laisser ici dessous un tout petit mot ou une longue diatribe pour que nous fabriquions sur le couteau suisse une petite communauté parlant du monde et, peut-être, des difficultés d’en faire un lieu de vie juste.


L’acte fondateur

Salut,

Je te souhaite la bienvenue sur Le couteau suisse. Ce blog est le mien, je m’appelle Gregory Jaquet, j’ai 36 ans et je vis au Costa Rica depuis un an.

Je viens de Suisse romande où j’étais inspecteur de police. Aujourd’hui, je suis engagé pour une mission de deux ans en Amérique centrale, avec mon amoureuse et nos deux petites filles de 1 et 3 ans.

Mon travail principal est la tenue du foyer et l’éducation de mes filles. Accessoirement, je travaille quelques heures par semaine pour une organisation créée par des psychologues, l’institut WEM. Nous recevons des hommes et travaillons à la prévention des violences domestiques en parlant de machisme et de masculinité.

Dans les rues de San José, à bicyclette.
Dans les rues de San José, à bicyclette.

Je parlerai de Suisse et du Costa Rica. D’ouverture sur le monde quand on vient de Suisse. De coopération internationale et d’aide au développement. Peut-être aussi de la vie d’homme et de père.

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Ce blog est créé grâce à l’atelier des médias de Radio France Internationale et à la plateforme Mondoblog. Sur Mondoblog, des blogueurs du monde partagent leurs vies, leurs expériences et leurs états d’âme. Je suis heureux de rejoindre ce groupe et j’espère que vous serez intéressé-e par ce que vous trouverez ici.