Quitter la Suisse, t’es malade ?

Article : Quitter la Suisse, t’es malade ?
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11 octobre 2013

Quitter la Suisse, t’es malade ?

Comment et pourquoi on quitte le pays le plus riche du monde

(et bien, notamment parce que la sortie n’est pas définitive..)

Comme nous avons deux petites filles, d’un et trois ans, il a fallu bien nous préparer. On s’expatrie pas pareil avec des nourrissons qu’avec son enthousiasme comme seul bagage. C’était il y a plus d’un an.

On a trouvé une organisation non-gouvernementale suisse qui envoie des gens dans les pays du Sud. Pour travailler pour le compte d’organisations locales qui travaillent à la promotion des droits humains.

C’est une manière de faire de la coopération vachement bien pensée. Ca nous permet d’arriver tranquillement et d’apporter une plus-value à une organisation déjà existante, animée par des habitants du pays.

En réduisant sensiblement l’impact négatif. L’organisation qui nous a envoyé s’appelle Eirene Suisse.

Eirene examine avec soin le travail de ses partenaires et, surtout, n’envisage d’envoyer quelqu’un que si le travail qu’il y réalise ne prend pas le travail de quelqu’un de local et si ce travail peut être pérennisé à la fin de sa mission.

On a trouvé ça éthique, mesuré et responsable.

Neuchâtel, notre ville en Suisse
Neuchâtel, notre ville en Suisse

Sortie du paradis

Alors on a démissionné de nos emplois, renoncé à nos salaires, quitté notre joli appartement et notre voiture. On a aussi dit au revoir à nos familles, à nos amis. Et, après une superbe fête de départ, on s’est envolé pour notre Amérique le 27 novembre 2012. Il y a bientôt un an.

La Suisse est le pays le plus riche du monde. Elle possède l’économie la plus compétitive du monde. Et c’est le pays du  monde où il vaut le mieux naître en 2013 (me cherchez pas des noises, les sources sont sûres et actuelles !).

Notez pour être précis que la question de la naissance doit être tempérée.

Certes, la Suisse est l’endroit où il vaut le mieux naître au monde. Pour autant qu’il s’agisse de sortir d’un ventre propriété d’une femme de nationalité suisse. Tu imagines que le droit du sol, c’est pas pour demain.

Alimentation générale helvétique
Alimentation générale helvétique

Ca suffit pas ? Y a des Suisses qui me lisent et qui veulent chinoiser ?

Bon ok, alors la Suisse a aussi le plus grand pouvoir d’achat du monde par habitant et la Suisse est l’endroit au monde où on gagne de quoi payer un kilo de pain en un temps record (6 minutes, contre 59 à Caracas ou 70 à Manille). Voilà.

Pourquoi tu t’en vas, alors ?

C’est une vraie démarche de quitter la Suisse.

Quand je suis né, je me suis pas rendu compte tout de suite du privilège.

Même ensuite, à l’école on ne nous disait pas « tu te rends compte que tu es né en Suisse ? Tu es au courant que chaque année, il y a 132’675’000 bébés qui naissent dans le monde, dont seulement 82’164 sont suisses ? que tu avais 0,06% de chance d’être Suisse ? ». Non. On nous disait pas ça.

Ensuite, au service militaire, au foot, à l’Université, rien du tout.

Alors bien sûr, tu grandis et tu crois que c’est normal.

Comme tu n’es pas tout seul et qu’il y a plein de gens bien intentionnés, on t’explique finalement que c’est comme ça parce que ton papa et ses aïeux ont travaillé dur.

Que oui, bon, c’est possible qu’on soit hyper riches, mais c’est seulement parce que :

  1. on est intelligents
  2. on est vertueux
  3. on est travailleurs

Tout ça de père en fils depuis la création du pays, il y a 722 ans..

Moi, en Suisse
Moi, en Suisse

En même temps, y a des gens qui gueulent que « Attention, on tente de nous envahir, y a plein de pauvres et ils veulent tous l’argent qu’on a à cause qu’on est vertueux, intelligents et travailleurs ! ».

A 20 ans, si tu es un garçon (ce qui vaut mieux, quand même hein, parce que bon l’égalité non plus, c’est pas tout à fait au programme), tu dois passer 4 mois au service militaire.

J’y suis allé et j’ai bien compris là, le fonctionnement du  monde. Les cadres, à l’armée, tu les vois venir, ils sont pas tout à fait sensibilisés à la géopolitique et à la répartition des richesses.

L’option partage et intégration n’est pas livrée avec le casque en plomb et le fusil. Donc, si tu n’avais pas compris que c’était pas une question de chance d’être né en Suisse, mais une question de droit, de légitimité, d’héritage et de toutes sortes d’âneries qui ne résistent pas à la moindre analyse (ce mot non plus n’est pas très répandu dans les casernes, j’ai noté), on t’explique encore une dernière fois.

La vraie naissance de l'homme suisse
L’éveil de l’homme suisse

Après, si tu ne vas pas parler avec d’autres gens dans le monde, tu peux passer une vie entière en Suisse en pensant que c’est chez toi et que « si tu es né à Madagascar, c’est quand même pas de ma faute ou quoi ? » . Voir même « on a fait des meilleurs choix, qu’est-ce que tu veux, ils n’avaient qu’à bosser, comme nous »

Je me demande comment le paragraphe ci-dessus est reçu par les lecteurs de Mondoblog qui tomberaient dessus. Mais je vous jure que ce n’est pas caricatural, j’ai entendu tout ça, pendant toute ma vie en Suisse. Vraiment.

 

Parce que c’est facile

C’est pas un sacrifice qu’on a fait, on n’est pas des martyrs. On est très loin d’être des héros. C’est pas de la fausse modestie, il y a une raison pour laquelle on a pas de mérite :

C’est ça qui est bien avec le fait d’être né Suisse : c’est que ça dure !

Tu peux aller t’égayer où ça te chante, quand tu reviens, tu es toujours Suisse. Tu fais partie du groupe, si tu veux. On t’acceptes. Tu peux reprendre ta place au chaud, chercher un job qui sera le mieux payé au monde.

 

Et alors, qu’est-ce qu’on fait ?

Donc, on découvre le monde, on essaie de piger les fonctionnements, les injustices et de participer à toute petite minuscule échelle à en résoudre une  ou deux. En même temps, on crache pas dans la soupe.

La Suisse, j’aime bien c’est clair. C’est propre, c’est chic et ça marche bien. Et puis il y a tous ces gens fantastiques qui bataillent depuis l’intérieur pour qu’on partage un peu le tas de pognon sur lequel on est assis. Des organisations géniales qui font un très beau travail. Et puis aussi des gens qui galèrent, qui peinent à joindre les deux bouts.

Mais des fois, ça me pique un peu la Suisse. Mon papa dit qu’il n’aime pas aller dans les brocantes parce qu’il a l’impression que les vieux trucs en laine le piquent. La Suisse, c’est pareil. Si tu restes bien concentré et bien à l’intérieur, c’est comme si tu avais trop chaud. Comme si tu manquais d’air. Que tu avais besoin de sortir un petit coup au froid pour respirer.

J’aime la Suisse. On m’a vu gueuler l’hymne national dans plein de stades du monde,  j’adore la douceur de vivre et toute cette tolérance qui règne chez une bonne partie de ses habitants. Mais je déteste la xénophobie, l’égoïsme, l’intolérance et l’ultralibéralisme meurtrier qui l’envahit parfois. C’est contre ça que j’en ai gros. Ce site sera insolent avec la Suisse. Mais avec la partie que j’aime pas. Il sera aussi question de ce que j’aime là-bas, chez moi.

Vue d’ailleurs

Le couteau suisse, c’est des points de vue sur la Suisse depuis ailleurs dans le monde. Aujourd’hui, je suis au Costa Rica, en Amérique latine. On verra dans les mois qui viennent les comparaisons entre l’Eden, le numéro 1 et le reste du monde.

A vous la parole

Quelque chose vous interpelle ? Vous choque ? Vous n’êtes pas d’accord ou vous voudriez en savoir plus ? Je vous supplie de laisser ici dessous un tout petit mot ou une longue diatribe pour que nous fabriquions sur le couteau suisse une petite communauté parlant du monde et, peut-être, des difficultés d’en faire un lieu de vie juste.

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Commentaires

Droz
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Yes , je vous souhaite le meilleur à toi et ta famille :-*

Gregory
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Merci beaucoup. A bientôt. Gregory.

Bandelier Aline
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Je me demande sans çesse pourquoi je vis en Suisse. Depuis 1971. A l'époque, pas du tout par choix. Et voilà, pourquoi, pourquoi pas? A qui et pour où? Pour quoi faire? Et ces questions resteront je l'espère d'actualité jusqu'à mon dernier jour. Y vivre n'est pas l'approuver. Partir c'est aussi en profiter... Vivre...comment vivre? Pas de mode d'emploi? A 20 ans je rêvais d'en avoir le double pour me poser moins de questions. J'en ai le triple, j'en sais toujours moins.... Et je cherche et me pationne, m'indigne...

Gregory
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Bonjour Aline,

Très joli commentaire. Je respecte infiniment le doute, la nuance et la mesure. "Partir c'est aussi en profiter" va très bien à ce que je vis, merci !

J'apprends en te lisant que les questions ne vont pas nécessairement trouver de réponse. Le pire, c'est que je ne suis pas sûr que ce soit une mauvaise nouvelle :-)

Bien à vous. Gregory.