Viens jouer au foot avec nous !

Article : Viens jouer au foot avec nous !
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21 novembre 2013

Viens jouer au foot avec nous !

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Découvrir le football de rue latino, ça fait mal aux genoux

– Viens jouer au foot avec nous, samedi à 15 heures, sur le terrain en concreto du centre sportif Monterrey.

L’invitation décrochée à la quincaillerie de cette banlieue de San José, Costa Rica, pour une partie de foot amicale et informelle était  belle. Pour l’intégration, pour le sport, pour l’avenir de l’humanité. Un partage tendre entre cultures, grâce à l’amour du ballon tissé main et de la belle geste. J’ai 36 ans, ils sont un peu plus jeunes. Qu’importe !

En arrivant à 15 heures, profil bas, vieux t-shirt, Puma Suede grises et noires tannées, je campe un footballeur de rue bien imité, j’ai perdu dix ans. Je cherche à rejoindre Uriel, le vendeur de la quincaillerie qui m’a convoqué. Petit, nerveux, 25 ans. Je m’attends à de la danse sur ballon, je serai pas déçu.

Le Costa Rica, c’est un peu le François Bayrou du foot. Tu sais que ça existe parce que tu les as vus quelques fois, coupe au carré et moustaches s’appelant tous Gerardo Gonzalez, dans les dernières pages des albums Panini. Celles avec les doubles-photos par vignette.

Tu as eu une enfance, si t'as jamais touché cet autocollant ?

Donner du jeu

Terrain en « concreto ». J’avais pas compris. Ca veut dire « béton ». C’est tout con en même temps. Le terrain est donc une place de jeu en béton avec deux pauvres cadres de buts pourris, sans filet, un peu comme le terrain de mon école primaire, en Suisse.

Cela annonçait, dans le désordre : des plaies, des bosses et des courses de dératé pour aller chercher les ballons dans tous les océans après chaque tir.

Et aussi des courbatures à triple injection et seize soupapes.

Mais qu’importe, j’allais faire un foot avec les quincaillers du coin, par un vieux samedi nuageux, dans la banlieue de San José de la Boca del Monte, Costa Rica. Grand Corps Malade peut bien arrêter de se prendre pour un poète avec ses rimes à vingt centimes, la vraie poésie, la grande, l’humaine, elle était bien là.

Je cite Grand Corps Malade (c’est pas de gaieté de coeur, mais par rigueur scientifique) :

T’es pas encore là mais déjà je vois beaucoup de chose différemment 
Tu vas bousculer ma vie, définitivement.

Observons ensemble une courte pause silencieuse pour laisser vibrer en nous les paroles suffocantes et magnétiques de ce génie du verbe.

Mâles dominants et petits ballons

Ah pardon, l’artiste ! Excusez du peu ! T’as bien raison de pas chanter et de faire que déclamer, Grand Corps ! Des vers de cette puissance ! Villon, Lamartine et Brassens peuvent bien aller grater leurs insipides inspirations dans des ateliers d’écriture pour manchots. Ton arrivée remet de l’ordre dans les glorioles passagères de ces slameurs qui t’ont précédé. Respect. Bon.

Je suis arrivé à 15 heures 10. Pour ne pas faire le type qui arrive à l’avance et qui est mort de faim. Intégrer un groupe de mâles, ça suppose quelques connaissances de base, did you know ? Par exemple : profil bas, garder ses bonnes idées pour soi, identifier le mâle dominant, lui trouver une faiblesse, l’éreinter (au propre et/ou au figuré) dans ce domaine en prenant l’air de ne pas y toucher pour gagner l’attention du groupe, puis chercher un domaine ou ce mâle alpha voudra collaborer avec vous pour qu’il vous considère comme son égal.

Cette procédure bien menée conduit à une intégration full success, triple-strike, que j’ai déjà réussi (et foiré aussi) quelques fois. Une partie de karting jurassien fut le cadre d’un tel exploit il y a quelques temps, à l’école de police. Pour les initiés..

Bref. 15 heures 10 donc. Ah ça, j’ai bien fait !

J’ai pu utiliser trois quarts d’heure à me regarder les ongles, compter mes lacets et me mordiller le coude (vas-y, essaies, je t’attends..) en attendant les premiers joueurs. A 16 heures, ils étaient tous là. 8 joueurs. 4 contre 4 sur du béton, ça allait envoyer du lourd.

Les raisins de la colère. Sang et sueur. Marche ou crève. Et plein d’évocation encore de la virilité et de la testostérone.

Dès que les trois pommeaux de la quincaillerie ont fini de scotcher leurs semelles au reste de leurs godasses pour ne pas courir comme des poules d’eau avec les pattes qui traînent sur le goudron, on fait briller le spectacle. Place au jeu !

Après dix minutes, le constat est assez clair. Le préjugé de la surcapacité technique et l’invalidité tactique des latino-américains est confirmé. Ici comme dans les autres pays dans lesquels j’ai eu l’occasion de pratiquer l’art majeur du pousse-ballon avec des pauvres hères bronzés et tricoteurs, on trignole, on ratelle, on passement de jambe et on jonglouille.

Echauffement de footballeur latino-américain

Mais pour la rigueur, c’est désertique comme une réunion de soutien à François Hollande. On entend le souffle du vent, même quand y en a pas.

Meilleur espoir masculin

Puisque même dans le foot corporatif suisse j’avais rien à espérer de mes talents techniques (en dribblant, je ressemble plus à Bambi juste après sa naissance, quand il se casse la gueule en glissant sur ses pattes, qu’à Gilles Jaquet – dont la réputation est assez surfaite soit dit en passant, tant son mécanisme jambier à grande complication est inutile face à n’importe quel défenseur un peu patient), j’ai attendu que tout le monde finisse de faire l’artiste au milieu du « terrain », que ça vienne un peu vers moi et j’ai fait ce que je sais le mieux faire en foot et dans la vie désormais : le ménage !

Allez voir en Grèce si j’y suis, les brodeuses ! Comment ça t’as jamais pris un ballon en pleine figure alors qu’un millième de seconde avant tu étais en train d’attaquer comme fend la bise ? Qu’est-ce que c’est que ce tibia qui traîne au milieu de terrain ? Attention j’arrive et je suis pas content ! C’est pas moi qui ai levé le pied, c’est toi qui mesure 90 centimètres ! La défense virile, rugueuse, soignée, pointue, aigue même, avec de l’angle et du bruit métallique.

Mes Puma grises ont servi de lavette à plusieurs visages pourtant charmants des quincaillers qui ont vite perdu le goût de l’aiguisage.

C’est un plaisir, le rôle de défenseur face à ces Lemmings croisés avec Stéphane Lambiel et Nadia Comaneci (triple croisement, absolument, la génétique a fait des progrès, t’es resté sur le trottoir pendant ce temps ?). Ô j’imagine les transports des Liechti, Progin, Kupper et consorts – mon équipe helvétique teigneuse – s’ils pouvaient goûter à ce plaisir. J’étais Franz Beckenbauer, ils étaient les Eric Mousambani du foot.

Le terrain faisant 13 mètres de long et ma condition physique étant identique à celle d’un étalon alezan (c’est joli ça, non ? étalon alezan… on dirait le nom d’un dictateur arménien – ça a existé les dictateurs arméniens ? je suis pas au point sur l’Arménie) je pouvais me présenter souvent dans la zone de but adverse sans négliger les retours en défense.

Et alors là attention ! Tandis qu’en quinze ans de foot, j’ai marqué trois goals, dont deux en voulant centrer et un de la hanche en évitant le ballon sur un coup franc tiré par un coéquipier – ce qui m’a value seize opérations de galvanoplastie injectée réticulaire pour pouvoir remarcher – j’ai réalisé sur le terrain de Monterrey une série de buts spectaculaire qui auraient fait passer Lewandowski pour un joueur de char (tu te souviens du char ? la belle époque… « j’ai char », « non, t’as pas char »… ah la la, nostalgie quand tu nous tiens !).

Le jeu de char

C’est pas bien complexe, je vais te dire. C’t’équipe de techniciens, dès que la balle est plus haut que leurs épaules (c’est-à-dire dès 1 mètre, grosso modo, pour la moyenne), y a plus personne. Les mecs, ils arrêtent, ils regardent ailleurs, se replacent. C’est entré dans les moeurs. Attention le ballon est en l’air, planquez-vous ! Aïe aïe aïe, des fois qu’on le prendrait sur le crémol !

Donc, tu me vois venir. Même en envoyant des coups de tête dans le vide une fois sur deux, j’ai marqué une collection de buts. Je les enfilais comme des perles. Ils me regardaient pour tout de bon, les quincaillers !

J’était l’élu, l’ange du sauvetage, Noé, Jean-Luc Lahaye, le général Guisan, Simon Bolivar, Christophe Colomb, l’esprit sain ! Le sauveur, c’était moi. Bibi. Mézigue. Mécolle. Ouam. Après vingt minutes, ils m’avaient trouvé un « apodo », les petits noms qu’on se donne une fois et qui restent attachés à vie en Amérique latine : « el artillero suizo ». La traduction me fait suer la fierté, l’orgueil, la vantardise, l’auto-estime par tous les pores (c’est masculin les pores, tu savais ? Un pore. C’est drôle, non ?) : l’artilleur suisse. Mesdames, Messieurs,faites place à l’Artilleur Suisse !

Lunettes de soleil pour tout le monde ! Attention, j’explique l’effet en alexandrins (compte les pieds et n’en oublies point !) :

Brillant tant qu’un petit regard à lui jeté
Même bref, d’un coup sec vous cuira la cornée. 
© moi-même. 

Ils étaient pas tanches les mecs. Mais y avait de la place pour une nouvelle discipline. Disziplin, devrais-je dire, tant le contraste latino-germanique paraissait caricaturé.

A ce stade, tu penses que ça va se gâter ? Que pour oser une telle auto-célébration, la chute doit être à la hauteur de l’ascension (qui tombe bien) ? T’as raison, tu t’en doutes.

El Kiss Cool #dos

Au bout de pas long, j’attends la pause. J’ai les genoux qui sifflent, la colonne qui cherche à toucher par terre à chaque virage et je suis hors d’haleine. Le foot à cinq, comme le foot en salle, ça se pratique bien avec des petites pauses régulières.

Je suis devenu pote avec mes coéquipiers, mais on a pas le temps de se causer.

Manuel, Manuel (le second est le fils du premier), Ariel et Mechas. Le dernier nommé semble être le simplet du groupe. Il est visiblement Nicaraguayen, ce qui la fout aussi mal qu’être frontalier français à un barbecue du Mouvement Citoyen Genevois.

Son nom « Mechas » vient du fait qu’à la quincaillerie, il est chef des mèches. Me demande rien de plus, c’est de l’info qui se suffit à soi-même. Il a plein de particularités qui sont évoquées tant par ses équipiers que par ses adversaires durant la partie. Il ressemble à un gros testicule, il est homosexuel et sa mère vend ses charmes (huevon, maricon, anda a la puta que te pario, c’est ce qu’ils disent). De la poésie humaine, je vous disais.

Le grand cirque du foot, ici comme ailleurs.

Mais elle ne vient pas. Qui ? La pause ! Elle ne vient pas et plus je l’espère, moins elle vient. J’ose pas réclamer un break, because la fierté mâle qui m’inonde. Mais je reviens moins, je monte moins, je marque moins. Bref, je fais tout moins.

Sauf respirer. Ca je fais beaucoup, beaucoup plus. Et plus vite. Les mecs, ils patinent toujours en rythme. En haut, en bas, petit-pont, râteau, sombrero, scorpion, tout continue à y passer.

Tu veux que j’abrège ? Très bien : deux heures. On a joué DEUX HEURES sans la moindre pause, sans la moindre goutte d’eau. Je crois que j’ai perdu 32 à 31. C’est de ma faute. Durant la dernière demi-heure, mes coéquipiers devaient éviter mon corps dans la zone d’attaque.

A la fin, le soir tombait. Ils m’ont dit qu’on rejouait demain, dimanche matin. Je les ai regardé, ils m’ont regardé, je les ai regardé et j’ai dit : « je peux pas, je vais à la messe ».

J’ai pas pu aller à la messe, dimanche.

J’ai descendu les escaliers en marche arrière pendant trois jours. J’ai eu mal sous les pieds comme si on m’avait scalpé les plantes. A la place des hanches, on m’avait greffé une enclume rouillée. Je passais le petit seuil de la douche en m’asseyant dessus.

Je suis retourné mejenguear avec les types de la quincaillerie depuis. Mais je suis rentré dans le rang. Plus personne ne m’appelle l’artillero suizo. Ils m’aiment bien quand même, l’équipe, même si j’ose pas encore insulter Mechas.

Crédit image : Cathy_SBD/Flickr

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